Voici
de quoi il s’agit depuis le berceau: depuis que j’ai commencé à
epeller jusqu’à l’heure que je vous parle, je n’ai jamais
prononcé l’a
sans avoir une idée ou la sensation d’un beau rouge, jamais le e
sans celle d’un blanc de lait donnant un peu sur le bleu, jamais le
i
sans celle d’un noir parfait, jamais le o
sans celle d’un blanc tout autre que celui de l’e
et qui me paroit donner un peu sur la couleur de la crème; ou pour
mieux dechiffrer la difference singuliere entre ces deux blancs, je
devrois dire qu’ils different comme un ton quelconque de son
octave. Jamais l’u
sans celle d’un jaune parfait, jamais le eu
sans celle d’un jaune pale, d’un jaune mêlé de blanc, donnant
un peu sur le verd, jamais le ai
sans celle d’un brun, c’est à dire du rouge et du noir ensemble;
enfin, il n’y a pas un seul diphtonge dont je ne sent pas la
couleur, melangée des couleurs qui dans ma pauvre tête sont
attachées aux voyelles qui le composent. Il en derive un effet très
singulier. Il y a des vers ou des phrases qui ont pour moi des
charmes indicibles, presque independanment de leur sôns. Par
exemple le vers d’Ovide que j’ai mis à la fin de la Lettre sur
les Desirs est de ce nombre:
– – – Oraque
tandem
Ore
suo non falsa premit,
Sans
penser à Pygmalion ou à sa maitresse, c’est à dire
independanment de ce charmant tableau, independanment même de la
belle mesure, ce vers me donne une sensation coloriée, me paroit un
bouquet de fleurs de differentes couleurs, qui en tant que couleurs
seroient grouppées de la façon la plus heureuse.
Zie: Hemsterhuis, Ma toute chère Diotime 1783, lettre 4.21.
Voorts: Nederlandse Synesthesie Pagina